24 Août 2006
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Enquête sur la vraie e résistance de MAURICE PAPON La thèse du vichysto-résistant résiste mal aux preuves irréfutables des archives allemandes et du Comité de libération. Accablant. |
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Le président
Castagnède lève une paupière lourde et jette un regard incrédule vers
Maurice Papon : « La Résistance, déjà... ? » Fidèle à sa technique d'an
ticipation - peu
payante jusque-là -, l'accusé vient d'aborder un thème prévu pour le mois
de décembre,
histoire de mouliner sa thèse du « double jeu ». Serviteur du Maréchal et
activiste gaulliste.
« En juin 1941, affirme-t-il lundi 3 novembre, je me suis fait épingler par le
gouvernement
français pour une affaire de courrier clandestin que j'avais organisé entre
les deux zones. »
Le voilà propulsé résistant de la première heure, bien loin de la date du 1"
janvier 1943,
avancée tout au long de l'instruction ! Trois jours plus tard, l'argument
progresse encore d'un
cran : « A partir de fin 1942, je me suis de plus en plus engagé dans la lutte
clandestine et, en
1944, je servais la Résistance à 95 % ! » Le long défilé des témoins de
moralité n'a apporté
que plus d'incertitudes sur ce sujet. Beaucoup évoquent la qualité de
résistant, les mysté
rieux « services rendus », sans pouvoir livrer un seul détail. La sentence
du jury d'honneur
réuni à la demande de Papon en 1981 témoigne d'un grand flou, en
concluant par une belle
contradiction. Elle don ic acte à Papon de son affiliation aux Forces
françaises
combattantes au 1" janvier 1943, mais elle relève que « faute d'avoir été
mandaté, par une
autorité qualifiée de la Résistance française, pour demeurer à son poste, M.
Papon aurait dû
démissionner au mois de juillet 1942 ». Ces atermoiements ont conduit les
magistrats de
Bordeaux qui l'ont renvoyé aux assises en 1996 à estimer qu'« il ne ressort
de l'instruction
aucune certitude quant à l'appartenance de Maurice Papon à la
Résistance ». De fait, trois
séries
de documents, sans comp-ter les louangeuses notations de son supérieur, l
e préfet régional Maurice Sabatier, en octobre
1942, renouvelées en janvier 1944, convergent pour anéantir la thèse du vichysto-résistant. D'une part, les rapports allemands, d'avril et de juillet
1943, qui décrivent Papon comme un « jeune spécialiste de
l'administration, habile et zélé... D'après ses déclarations et ses conver
sations privées et publiques, il se définit comme collaborationniste. Il est
agréable de travailler en commun avec lui ». Confirmation en juillet : « II
collabore sans problème avec la Feldkom- ' mandantur.
Il est rapide et digne de confiance. » Un rapport classé « très secret » du
Bureau central de renseignements et d'action (BCRA) -les services
spéciaux gaullistes - établit en 1945 une liste de 25 000 noms d'«
individus suspects ou douteux », agents de l'ennemi notamment : à la
page 1568 figure le nom de Papon, suivi des trois lettres
« col ». Pour « collaborateur ». Enfin et surtout, à l'automne 1944, les
résistants bordelais tentent maintes interventions
auprès du commissaire de la République de Bordeaux, Gaston Cusin,
pour l'affranchir au sujet de Papon et le dissuader de
recycler un secrétaire général pétainiste.
Gabriel Delaunay, 91 ans, grand résistant et patron du Comité de l
ibération (CDL) de Gironde, a confirmé à l'Edj son indignation : « Maurice
Papon était inconnu des groupes locaux de résistants,
en contact avec certains fonctionnaires de la préfecture : d'après eux,
le secrétaire général n'avait pas bougé le petit doigt en faveur d'un jeune
homme qui, dans les toilettes, avait écrit "Vive
de Gaulle". Après une enquête, on l'avait même livré aux Allemands ! Quand
Cusin nomme Papon préfet des Landes, une levée
de boucliers des combattants locaux lui fera faire marche arrière,
conservant le titre à Papon, mais envoyant un autre à sa place, sur le
terrain. » Gabriel Delaunay, aux injonctions
duquel Gaston Cusin reste sourd, explose de colère dans une tribune
publiée le 30
novembre 1944 par la Nouvelle République : « Des fonctionnaires d'autorité,
écrit-il, ont fait
des tours de valse, mais ils y étaient si habitués que la tête ne leur a pas
tourné et qu'ils se
préparent maintenant aux avancements de choix. D'autres, d'épurés qu'ils
étaient susceptibles d'être, sont devenus épu-rateurs. » Delaunay se
souvient de la lutte contre le blanchiment des vichystes
: « A l'initiative d'un groupe local du CDL, nous avions, à l'époque, établi
pour Gaston Cusin un tableau des
fonctionnaires à conserver ou à révoquer, tous notés de 0 à 5, 5 pour "à
promouvoir", 0 pour "à arrêter". Dans notre
étude, Maurice Papon avait eu 1 et ne pouvait rester dans l'administration.
Le problème, c'est que Cusin avait confié les
dossiers d'épuration à... Papon ! » Celui-ci rédigera d'ailleurs sa propre
notice individuelle
pour la Commission nationale
d'épuration, qui, malgré d'incessantes interventions du CDL jusqu'en mars
1945, donnera son absolution. Gabriel Delaunay
affirme pourtant aujourd'hui que « la commission d'épuration du CDL de
Bordeaux était
l'une des plus ouvertes et des plus souples de la France à l'égard des
anciens vichystes, écartant les dénonciations
siege de la gestapo au Bouscat Boredeaux