18 Mai 2011
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Bordeaux fête le 80e anniversaire de la proclamation de la seconde république espagnole. Des expositions, projections, concerts, conférences, tables rondes, hommages vont se succéder jusqu'au 10 juillet.
Ce sera aussi l'occasion de donner la parole aux témoins encore vivants. Au début des années 40, des milliers de républicains espagnols se sont retrouvés en Gironde. Entassés dans des camps ou des sites militaires comme la caserne Niel. Avec, chaque jour, l'obligation de donner leur temps à l'occupant allemand pour construire des ouvrages comme des rangs de blockhaus ou la base sous-marine de Bordeaux.
Ils témoignent
Angel Villar et Juan-Enrique Gonzales étaient là. Le premier habite à la Bastide, il a 89 ans ; le second demeure à Pessac et affiche 92 ans. Tous deux se sont retrouvés hier à la base sous-marine pour se souvenir, pour rappeler aux jeunes présents ce qu'ils ont vécu.
Cette base sous-marine qui barre aujourd'hui le paysage, ils l'ont vue sortir de terre. « Lorsque je suis arrivé en septembre 1941, c'était un grand trou délimité par des palplanches », précise Juan-Enrique. « Il y avait d'énormes pompes pour vider l'espace et de gros tuyaux sur des kilomètres pour envoyer la boue vers Bordeaux Nord, les tuyaux enjambaient les boulevards », ajoute Angel.
Juan-Enrique était au camp de Saint-Médard. « On nous amenait jusqu'à la gare Saint-Louis chaque matin et de là on venait à pied. » Angel, pour sa part, était à Niel : « Nous aussi au début nous venions à pied, mais il y avait tellement d'évasions en cours de route qu'ils nous ont mis ensuite dans des wagons puis nous ont fait traverser la Garonne en bateau. »
Dizaines de morts
Au total, 3 000 réfugiés espagnols ont participé à la construction de la base sur les 6 000 travailleurs mobilisés. Le jour, la nuit, sous le soleil, la pluie ou par grand froid. L'enfer ! Les conditions de travail étaient telles que des dizaines d'ouvriers auraient trouvé la mort. « Avec le monde qu'il y avait, il était difficile de voir ce qui se passait », note Angel. « Un jour, on m'a dit qu'un Allemand a fait chuter deux ouvriers dans le béton et que lorsqu'il les regardait tomber, il avait été lui-même poussé. J'en ai jamais eu la preuve cependant. »
Pour les deux hommes, le début du chantier a été le plus pénible. Au moment du déchargement du matériel : le ciment, les ferrailles, les planches… Des poids énormes à transporter. Un travail de forçat. Ensuite, ça s'est mieux passé. « Je suis resté dix-huit mois, confie Juan-Enrique. J'ai été très vite chargé de l'entretien des wagonnets qui transportaient les matériaux, c'était moins dur. »
« Comme je parlais un peu allemand, je me suis retrouvé au transformateur, chargé de la sécurité, révèle Angel. Je répondais aux ordres. Je coupais, j'allumais. À la moindre menace d'attaque aérienne, la nuit venue, on éteignait. Le chantier se retrouvait dans le noir. »
Des actes de sabotage, parfois ? Angel sourit : « On ne sait pas pourquoi, il y avait souvent des fusibles qui ne tenaient pas le coup ! » C'est comme à la forge où, souvent, on fabriquait des lames de couteau. Pas seulement pour couper le pain. Angel est resté là à jusqu'à la Libération. « Je suis vraiment parti le dernier jour. » Et il n'a jamais quitté Bordeaux depuis !
JP.VIGNEAUD